Communication & Institutions

Loi Sapin II et lobbying : transparence ou angélisme dévastateur ?

Loi Sapin II et lobbying : transparence ou angélisme dévastateur ?

Un article du projet de loi Sapin 2 veut encadrer le lobbying en France. Il est dangereux pour les entreprises et remet en cause plusieurs principes fondamentaux de notre démocratie.L’article 13 du projet de loi Sapin 2, inquiète les entreprises. Il vise à encadrer le lobbying dans notre pays par la création d’un registre des représentants d’intérêts tenu et contrôlé par la Haute autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP). Sont concernés : les responsables d’entreprises, les syndicats professionnels, les conseils en communication d’influence, les « lobbyistes », mais aussi toutes les associations, dont celles des maires de France, les ONG, les loges maçonniques etc. qui dialoguent avec les pouvoirs publics.

Ce projet de loi, pourrait être préjudiciable aux entreprises et donc à l’emploi. Largement inspiré par des ONG qui rêvent d’une transparence absolue qui n’existe nulle part, il exposerait inconsidérément toutes les informations qui circulent dans les cercles de pouvoir, au plus grand profit – bien sûr – des entreprises, organisations et Etats étrangers. Sans compter que ces derniers pourront passer, pour leur communication vers les pouvoirs publics, par les services spécialisés de leurs ambassades ou d’officines installées au sein de l’Union.

Depuis plus de vingt ans, l’intelligence économique nous a appris l’importance de la protection des données, des stratégies, et des savoir-faire face aux prédateurs publics ou privés du monde entier. Les intrusions des uns et les interceptions des autres ont amené le Parlement Européen à légiférer sur le secret des affaires malgré l’opposition des mêmes ONG. Ce texte semble oublier l’importance de la confidentialité dans les contacts entre les décideurs publics et les entreprises sur les dossiers stratégiques. Dans un monde où les prédateurs avancent souvent masqués, les intérêts français doivent pouvoir être défendus confidentiellement.

Monstre bureaucratique

L’article 13, probablement inconstitutionnel, remet en cause plusieurs principes fondamentaux de notre démocratie : la liberté d’entreprendre, le principe de l’intelligibilité de la loi et même le principe d’égalité devant la loi. En effet, les avocats lobbyistes, qui sont des lobbyistes et non des avocats lorsqu’ils exercent cette activité, ne seraient pas contrôlés de la même façon que les entreprises. Les syndicats patronaux seraient soumis aux obligations de contrôle par la HATVP alors que les syndicats de salariés ne le seraient pas. Enfin il remet en question le secret des affaires, principe général du droit communautaire

Sous réserve des ultimes modifications du texte, la France adopterait un système unique au monde, véritable « monstre bureaucratique « , puisque les lobbyistes français devraient s’enregistrer chaque année auprès de 7 Institutions : Assemblée Nationale, Sénat, HATVP, Présidence, Conseil Constitutionnel mais aussi Parlement et Commission européenne. Sans parler des contacts avec les 14 000 élus et fonctionnaires locaux, qui devraient être enregistrés auprès de la HAATVP et dont son président lui-même estime que le contrôle sera « difficile à mettre en oeuvre et sans équivalent à l’étranger  » (1).

L’antipode de la démocratie

Le gouvernement semble douter de la loyauté, du sens de l’intérêt national et de la compétence, non seulement des fonctionnaires et des élus mais aussi des membres des cabinets ministériels. Tous devraient en répondre indirectement devant la HATVP dès lors que des contacts auprès d’eux auraient été pris par les représentants des entreprises, les syndicats professionnels ou les clubs de réflexion. Pourtant le caractère indispensable du lobbying pour légiférer en toute connaissance de cause dans l’intérêt de tous est reconnu.

Pour le constitutionnaliste Guy Carcassonne : « L’exigence de la transparence, lorsqu’elle se généralise à l’excès n’est plus la quintessence de la démocratie mais plutôt son antipode », « Devenue une fin en soi, elle s’imposera d’elle-même, n’aura nul motif à s’arrêter ici ou là, s’insinuera partout, irrésistiblement, sous le masque fallacieux d’une exigence démocratique. Au terme de l’évolution se révèlera son paradoxe : la démocratie aura réalisé le rêve du totalitarisme » (2)

Au lieu d’aller chercher ailleurs un système liberticide, pourquoi ne pas adopter ce qui a été mis en place par l’Assemblée Nationale, le Sénat, le Parlement et la Commission européenne, qui donnent déjà tous les moyens légaux aux entreprises pour travailler en confiance avec les Institutions. Cela éviterait le retour d’un lobbying « gris » mis à mal grâce aux chartes déontologiques des professionnels plusieurs fois renforcées depuis plus de 30 ans. En identifiant les lobbyistes et en contrôlant le respect des règles déontologiques la HATVP fera alors oeuvre utile pour la défense des intérêts français.

Les Echos

Alain Juillet est président de l’Academie de l’intelligence économique  ; Olivier Le Picard, co-fondateur, ancien président de l’association française des conseils en lobbying

 

(1)   : Audition de M.Nadal au Sénat : Commission des Lois, mercredi 15 juin 2016

(2)  : Revue Pouvoirs : « Le trouble de la transparence n°97 «